Previous coring in Gamari lake from EDYTEM /LIENSs teams in december 2018 CLIMAFAR FIELDWORK
MISSION ARCHEOLOGIQUE en 2022 à DJIBOUTI
La mission de recherche archéologique et paléoclimatologique en République de Djibouti du Ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères, du CNRS Label SEEG INEE, de l’Ambassade de France, de l’Institut des Déserts et des Steppes et de l’Institut de Recherches Archéologiques et Historiques à Djibouti (CERD Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), placée sous la direction scientifique de Jessie Cauliez (chargée de recherches au CNRS, UMR 5608 Traces, Toulouse, co-responsable du volet archéologique de l’ANR NilAfar), s’est déployée sur le terrain du 13 janvier au 5 février 2022. La mission a lieu dans la région du bassin du lac Abhé, le bassin du Gobaad, au sud-ouest du pays. Avec une équipe de 16 chercheurs français et djiboutiens, les opérations se sont structurées autour de 7 volets.
Ces recherches, qui intègrent le volet archéologique de l’ANR NilAfar, s’inscrivent dans un projet interdisciplinaire actif et continu depuis la fin des années 1980 en République de Djibouti portée par la mission archéologique franco-djiboutienne. Elles sont partenaires du GDR Grand Rift Africain, conventionnées avec le CFEE, le Centre Français des Études Ethiopiennes et s’opèrent à Djibouti également à la faveur de soutiens logistiques et de subventions de nombreux partenaires, dans l’esprit d’une science participative : les Forces Françaises Stationnées à Djibouti, le monde associatif avec l’Association de Développement de la Caravane du Gobaad et l’association des Jardins d’As Eyla, le projet d’agroforesterie de la Ferme du Neem à As Eyla, la Banque pour le Commerce et l’Industrie de la Mer Rouge, le groupe Coubèche et son label Terres et Verres, le groupe Marill, Safar Voyages et le Djibouti Palace Kempinski.
La nécropole d’Antakari 3, datée du 3ème millénaire cal BCE et affiliée aux premiers éleveurs de la Corne de l’Afrique, a vu se poursuivre les fouilles des sépultures individuelles en fosse qui la caractérisent dans la partie du monument qui a été ouverte il y a maintenant une dizaine d’années. Ces travaux ont confirmé la séquence chronologique qui avait pu être établie sur la base à la fois de l’analyse des dépôts de sédiments qui abritent les inhumations et de la superposition de ces dépôts que montre le décapage minutieux des squelettes dans une perspective d’observation archéo-thanatologique pleinement assumée. Cette année, il a été observé plusieurs cas de recoupement de sépultures, ce qui ajoute à la complexité de la succession des évènements sépulcraux qui ont finalement conduit, selon nos estimations, à inhumer dans cet espace funéraire communautaire près de 400 individus sous une plateforme circulaire de près de 17 m de diamètre venue sceller la nécropole. On ajoutera la découverte au cours des décapages de nouveaux et nombreux éléments de parure bien en place sur les squelettes, comme des bracelets de rondelles en ossements animaux ou encore des perles en teste d’œuf d’autruche qui ont été peintes en rouge, un élément qui n’avait pas encore été observé sur ce site.
La deuxième opération concerne le site chasseurs-cueilleurs d’Hara idé 3 qui livre des ossements humains datés d’environ 16000 à 12000 ans, période pour laquelle les données concernant le peuplement humain après le dernier maximum glaciaire sont extrêmement rares dans l’Est africain. Ils ont été découverts soit sous la forme d’épandages de vestiges osseux, soit depuis la campagne de 2022 en place sous la forme de concentration (connexion anatomique) au sein de petites fosses funéraires. Tant les sites de cette période sont indigents, ces découvertes accordent au gisement d’Hara idé 3 une très grande importance pour l’étude des populations de la fin du Pléistocène qui ont fréquenté ces lieux à deux reprises puisque l’horizon supérieur du même site a livré également des vestiges d’occupation humaine datés d’environ 8000 ans sous la forme de foyers où ont été conservés des ossements animaux brûlés et quelques outils et éclats en obsidienne. Cette année, la fouille de l’horizon intermédiaire a permis de découvrir d’autres structures anthropiques (possible foyer) qui confirment que le site a été fréquenté à plusieurs reprises alors que les conditions environnementales ont varié entre une période humide avec extension du lac Abhé qui succède à la première occupation matérialisée par les aménagements funéraires et une période plus sèche pour la fin de la seconde occupation. L’étude des ossements humains par différentes méthodes d’analyse (scan 3D, ADN) est en cours et livrera des informations précieuses pour comprendre à la fois l’origine et le mode de vie de ces populations très anciennes de chasseurs-cueilleurs. Il est programmé aussi des analyses isotopiques dans le cadre de l’ANR NilAfar, dans une démarche comparative avec les vestiges osseux humains d’Antakari 3 plus récent, dont le but est de caractériser les modalités d’alimentation des populations (très portées sur le lac, place de l’apport carné ?), leurs pathologies (possible pollution au fluor détectée du fait de cas d’hypercémentose, hyper-arthrose sur les crânes, vertèbres et dents des individus) et les climats dans lesquels elles ont évolué et qui ont nécessairement eu un impact sur leur variabilité phénotypique d’une part, et leur démographie, qu’ils s’agissent des chasseurs-cueilleurs (Hara Idé 3) ou des premiers éleveurs (Antakari 3). A l’échelle de l’est africain, Hara Idé 3 est enfin un site de référence pour documenter les dispersions en Afrique d’Homo Sapiens et ses sorties d’Afrique après la période du dernier maximum glaciaire et donc la mobilité et les dynamiques de peuplement en fonction de la disponibilité en ressources et des niches écologiques favorables ou non à l’implantation humaine.
Une troisième opération a concerné les sites d’habitat des premiers éleveurs d’Hédaito le Dora et Antakari nord-est. Sur ces deux sites organisés sous la forme de trous de poteau et d’aménagements à pierres chauffantes, il a été procédé au prélèvement de pierres chauffées extraites de structures de combustion par le spécialiste des datations par paléomagnétisme du programme. Il persiste en effet des incertitudes sur la datation précise de ces occupations (2ème, 1er millénaires cal BCE ?, 1er millénaire cal ACE ?). Pour le site d’Hédaito le Dora, trois datations basses ne semblent pas correspondre au faciès céramique représenté sur le site, plutôt ancien. La datation des structures de combustion empierrées semble alors à explorer pour tenter de résoudre ce problème. Il y a là un enjeu important car si les datations basses se confirment, il sera nécessaire de revoir notre interprétation actuelle de l’articulation chronologique des traditions céramiques préhistoriques du sud-ouest de la République de Djibouti. Pour ce qui est du site d’Antakari nord-est, les prélèvements effectués cette année ont pour but de confirmer les fourchettes de datation obtenues précédemment par la méthode du carbone 14 sur matière organique ou fraction minérale de l’os.
Les recherches se sont poursuivies également dans le massif du Dakka, ce massif de corniches basaltiques ornées sur des kilomètres de longueur de gravures rupestres, au nord du bassin du Gobaad à Djibouti. Toutes ces gravures appartiennent à une période de l’histoire de la Corne de l’Afrique que l’on peut situer entre le milieu du 1er millénaire avant notre ère (vers – 500 ans.) et la période médiévale qui correspond à l’introduction progressive de la religion musulmane, du 8ème au 13ème siècle de notre ère. Cet art rupestre est principalement le reflet d’un mode de vie nomade ou semi-nomade fondé sur l’élevage des bovins et des dromadaires, ces derniers étant utilisés pour le commerce caravanier, au moment où la région a pleinement intégré l’entrée dans l’aridification et la chute du niveau des eaux du lac Abhé.
Cette année, les opérations de fouilles et prélèvements sur les sites archéologiques ont été complétées par une approche ethnoarchéologique des architectures en terre de la sous-préfecture d’As Eyla, région où se situent les fouilles. Cette opération a consisté à identifier et décrire de la façon la plus exhaustive possible les constructions en terre à usage d’habitation, qu’elles soient utilisées actuellement ou abandonnées, à décrire les chaînes opératoires d’extraction et de mise en œuvre de la terre à des fins architecturales. Pour ce faire, outre un enregistrement photographique systématique, une enquête ethnographique a été menée auprès des usagers et auprès des artisans encore en activité dans ce domaine de compétence technique. Des échantillons à divers stades d’élaboration ont été prélevés pour étude en laboratoire, notamment à travers une analyse micromorphologique. Ces enquêtes servent aussi à enregistrer le discours sur les modifications observées dans les environnements des habitants liées au réchauffement climatique (difficulté des ressources en eaux, difficulté d’accès aux ressources végétales, perte de la biodiversité animale, chute du nombre des jardins fruits d’une économie collectiviste).
Les référentiels actualistes dans le programme concernent aussi la faune actuelle avec une approche spécifique conduite sur les prédateurs et notamment les hyènes qui occupent densément la région du Gobaad. Le but est de modéliser les comportements et les interactions entre l’homme et l’animal dans l’environnement actuel du lac Abhé où les populations sont des éleveurs au mode de vie redevenu semi-nomade, du fait de l’aridification de la région. Il s’agit de comprendre la relation entre l’Homme et ce prédateur, d’étudier ses proies, son habitat et son mode de fonctionnement, ainsi que ses modes de consommation. Le but est de disposer de modèles d’interprétation et de compréhension de leurs comportements, dans une perspective analogique au moment d’étudier les sites préhistoriques ayant livré des artefacts en rapport avec la présence de l’hyène sur les gisements archéologiques d’Europe et d’Afrique. Le but est aussi l’enregistrement du discours concernant la relation entre les sociétés pastorales et la biodiversité animale qui évolue.
Parce que la région du Gobaad est aussi un réservoir de faunes fossiles exceptionnel (1,5 à 1,3 millions d’années), plusieurs prospections et sondages ont été réalisés de façon à décrire les contextes d’enfouissement des formes très anciennes d’éléphant, crocodile et hippopotame de l’Est africain, à l’époque où le bassin sédimentaire du lac Abhé s’est ouvert suite aux phénomènes tectoniques et que le lac Abhé a débuté sa mise en place.
Puisqu’il s’agit de comprendre la co-évolution Homme-Environnement sur les 20 000 dernières années, l’important travail de reconstitution et de modélisation du régime paléohydrologique du lac Abhé s’est poursuivi cette année. Objectifs : identifier, cartographier et prélever pour datations tous les témoins marqueurs passés des phases de transgression du lac Abhé (plages stromatolithiques, surfaces d’abrasion dans les glacis basaltiques, dépôts de diatomites).